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La mort des autres

  • Vincent Lanata
  • 2 mai 2020
  • 6 min de lecture

Un tel titre pourrait faire penser à la magnifique pièce de théâtre, « La tête des autres », écrite par Marcel Aymé qui fut en son temps un vibrant plaidoyer contre la peine de mort et qui eut un grand succès associé, comme toujours dans un tel cas, à de nombreuses controverses. Elle montre également avec quelle légèreté on condamnait il n’y pas bien longtemps à mort un individu innocent.


Il n’est pas dans mon propos de faire l’exégèse de ce remarquable ouvrage, mais il y a me semble-t-il un lien : peut-on disposer de la vie des autres, ne fut-ce qu’en paroles.

La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui est propice à de nombreuses prises de positions sur les plateaux de télévisions des chaines d’informations    continues ; certains, pas très éloignés du « café du commerce » tiennent des propos définitifs sur ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire.


Certains propos ont retenu mon attention : il s’agit de ceux qui affirment que la crise sanitaire n’est qu’un épisode, somme toute banal, qui finira bien par s’arrêter, et qu’en fin de compte, on accepte bien les morts de la grippe saisonnière, pour quelles raisons n’accepterions nous pas ceux du Covid-19, quels qu’en soit le nombre ? En un mot : donner la part du feu !

Le raisonnement n’est pas tout à fait erroné : en effet si on regarde le plus près les chiffres, globalement la pandémie actuelle affiche un nombre de victimes plus important, mais  grossièrement du même ordre de grandeur que la canicule de 2004 ou que d’une mauvaise année de grippe saisonnière. Là où la démonstration devient fausse, c’est que cette pandémie ne remplace pas le nombre statistique de victimes  du flux de la mortalité que je qualifierais de régulière, (maladies, épidémies chroniques, accidents de la route et autres), pour lesquelles les pouvoir publics agissent en permanence avec vigueur et en investissant des moyens importants pour en réduire le volume, mais vient s’ajouter à lui, ce qui rend le taux global de mortalité insupportable pour le pays.


J’ai toujours trouvé assez désinvoltes ceux qui disposent avec allégresse et générosité de la vie des autres.


Il y a ceux, à sang froid qui font un rapide calcul et qui considèrent que prendre des précautions pour sauver la vie  au détriment de l’activité économique est une folie et qu’il faut pour préserver l’économie accepter des pertes, mêmes sévères, en vies humaines, pertes qui affecteraient massivement la population la plus fragile.

Il y a ceux qui, sans le dire ouvertement, pensent très fort, qu’en définitive, les populations à risques sont celles qui en matière sanitaire coûtent le plus cher et, de plus,  celles qui contribuent le moins à la bonne marche du pays ; aussi,  si les pertes étaient importantes dans cette catégorie de citoyens, il ne pourrait s’agir que de leur contribution volontaire au bien de la Nation !


J’ai même entendu sur une chaine de télévision du service public, à une heure de grande écoute, un pseudo-philosophe  flamboyant dire, qu’en définitive il conviendrait de faire en sorte que la tranche la plus âgée de la population, donc la plus fragile et la moins productive, accepte de se sacrifier pour le bien de la communauté.


Mais de quel droit, monsieur le philosophe disposez-vous avec autant d’assurance de la vie des autres ? Pour vous, je suppose que des vies valent plus cher que d’autres et donc que chaque vie a un prix différent ? Dites-moi, comment fixez-vous ce prix et quelle hiérarchie établissez-vous dans toutes ces vies ? Vous faites vraisemblablement partie de ceux qui avancent masqués dans cette promotion d’un eugénisme rampant que j’ai déjà dénoncé par ailleurs.


J’ouvre ici une parenthèse pour dire que dans certains cas on peut être  contraint de faire un choix entre deux vies et, dans ce cas, le plus faible est perdant. En effet  le corps médical peut être dans l’obligation de choisir délibérément entre deux vies, et de décider de tenter de sauver le patient qui présente les meilleures chances de survie, condamnant de ce fait le plus faible : c’est ce qui aurait pu se produire (ou qui s’est peut-être produit marginalement) au plus fort de la crise dans des hôpitaux surchargés lorsqu’il ne restait plus  qu’un lit en réanimation et  qu’il n’y en avait plus dans les autres établissements eux aussi surchargés. C’est certainement une décision très difficile à prendre, car elle condamne le plus faible, mais il n’y a pas d’autre alternative. C’est d’ailleurs ce qui peut se passer dans la médecine de catastrophe ou de guerre devant un afflux important imprévisible  et brutal de blessés graves entrainant la saturation des capacités de soins ; sont alors traités en priorité ceux qui ont les meilleures chance de survie, les autres étant mis en attente malgré un risque vital majeur. Dans ces cas, la vie du plus fort ou du moins atteint a une valeur supérieure à celle du plus faible. La question qui peut être posée est de savoir à quel niveau doit être dimensionné notre appareil de santé pour faire face à une éventuelle crise majeure ? Dans la conjoncture actuelle, un pays comme l’Allemagne a eu  une meilleure anticipation que la nôtre puisque leurs hôpitaux n’ont jamais été saturés parce qu’ils disposaient d’un nombre de lits de réanimation trois fois plus important que le nôtre : nos brillants technocrates auraient-ils sous-estimé les risques ?


Je reviens à mon sujet après cette parenthèse.


Fort heureusement, la société a évolué depuis des décennies et ce qui était   acceptable et assumé hier ne peut plus l’être  aujourd’hui.

Qui, en effet, accepterait de nos jours dans le domaine militaire les boucheries de la guerre de 1914/1918, que ce soit dans les tranchées où chaque jour disparaissaient dans l’indifférence et le silence de la presse 987 soldats, ou que ce soit dans les grandes offensives comme celles de « la Somme » ou du « Chemin des Dames » où furent envoyés à la mort, sans grand résultat il faut bien le dire, des dizaines de milliers de soldats ?

Qui accepterait de nos jours les pertes, des dizaines de millions de morts, dues à la Grippe Espagnole traitées  comme un simple  « nota bene » de l’histoire du  premier conflit mondial ?

Oui ! C’était une autre époque, mais pas très éloignée, juste un siècle ! Les  grands-parents de ceux qui ont un certain âge aujourd’hui, l’ont vécue.


Depuis, fort heureusement la vie a pris de la valeur et tout est fait pour protéger cette vie si précieuse que ce soit dans les législations, ou de façon pratique par les progrès de la médecine ou , pour ne prendre que cet exemple, par les règles d’engagement des opérations militaires, à cet égard on supporte mal nos pertes, et de plus on essaye, sans bien souvent y parvenir, d’éviter les dégâts dits « collatéraux » chez l’adversaire.

Ceux qui tiennent les propos martiaux que j’ai évoqués plus haut, ne savent certainement pas ce que c’est que la Mort. Pour eux il s’agit sans doute d’une notion abstraite qui ne peut les toucher et que l’on peut traiter par des statistiques. Mais ceux qui l’ont côtoyée de près de par leur métier en risquant bien souvent leur vie, savent quel est son prix. Il en va de même pour ceux qui ont perdu un être cher, ou pour ceux, soignants, mis à l’épreuve aujourd’hui qui à chaque instant luttent pour préserver la vie des autres tout en risquant la  leur.

Alors, revenons sur terre ! Nous luttons aujourd’hui dans cet épisode malheureux   pour sauver la Vie. Il en va de même pour le monde entier et tous les pays sont sur une ligne de pensée identique. Lorsque je dis tous les pays, je m’avance un peu car on constate les propos tenus par certains  dirigeants forts  heureusement peu nombreux qui sont encore sur la ligne de sauver l’économie au détriment de la vie.


En réalité, en plus de protéger la  Vie, il faut apporter un soin tout particulier à préserver les économies dont l’effondrement serait dramatique et nos gouvernants prennent les dispositions les meilleures, ou les moins mauvaises, dans cette conjoncture incertaine ; mais ils ont commencé par essayer le mieux possible de  sauver la Vie. Et leur démarche a été  tout à fait légitime : l’économie finira bien un jour par repartir après sans nul doute un sombre cortège de difficultés majeures et de drames, mais après bien des souffrances, elle repartira comme cela s’est produit dans notre histoire ainsi que dans celle du monde.


Seule la perte de la Vie est définitive et irrémédiable.

 
 

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